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LE DÉFRICHEUR

un jeune homme de cœur. Je voudrais que chaque paroisse pût en fournir seulement cinquante comme ça ; le pays deviendrait riche en peu de temps, et nos filles seraient sûres de faire des mariages avantageux.

— Dis donc pourtant, François, interrompit Madame Routier, que ça n’est pas gai pour une jeune fille d’aller demeurer au fond des bois ?

Louise regarda sa mère d’un air surpris.

— Mais ce que tu appelles le fond des bois, ma bonne femme, répondit le père Routier, ça sera bien vite une paroisse comme Grandpré, et c’est Jean Rivard qui sera magistrat et le plus grand seigneur de la place. Sais-tu une chose qui m’a passé par la tête en jasant avec lui ? C’est qu’il pourrait se faire qu’un jour je vendrais ma terre de Grandpré pour acheter une dizaine de lots dans le Canton de Bristol. J’ai plusieurs garçons qui poussent ; je pourrais, avec moitié moins d’argent, les établir là plus richement que dans nos vieilles paroisses. Nous irions rester à Bristol ; toute la famille ensemble, ça ne serait pas si ennuyeux, à la fin du compte. Hein ? qu’en dis-tu, ma petite, dit-il, en s’adressant à Louise qui écoutait de toutes ses oreilles ? »

Louise ne répondit rien, mais il était facile de voir que cette perspective ne l’effrayait nullement.

Jean Rivard n’oublia pas de visiter son bon ami le curé de Grandpré auquel il était redevable de ses bonnes résolutions, et dont les réflexions judicieuses et les conseils paternels servirent encore cette fois à retremper son courage.

Il fallut bien aussi donner quelques heures aux affaires. Jean Rivard avait déjà touché quinze louis