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Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, le défricheur, 1874.djvu/82

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LE DÉFRICHEUR

j’en suis de plus en plus épris. J’ai fait un grand pas cependant depuis que je t’ai écrit ; je sais maintenant où elle demeure. J’ai été assez hardi un jour pour la suivre (de fort loin, bien entendu) jusqu’à un bloc de grandes maisons en pierre de taille à trois étages, dans un des quartiers fashionables de la cité. Je la vis franchir le seuil de l’une des portes et entrer lestement dans la maison. Plusieurs fois ensuite, je la vis entrer par la même porte, de sorte que je n’eus plus de doute sur le lieu de sa résidence. Je puis maintenant diriger vers ce lieu poétique mes promenades du soir ; durant les heures d’obscurité, je passe et repasse, sans être remarqué, vis-à-vis cette maison où elle est, où elle respire, où elle parle, où elle rit, où elle brode… N’est-ce pas que ce doit être un petit paradis ? J’entends quelquefois dans le salon les sons du piano et les accents d’une voix angélique, je n’ai aucun doute que ce ne soit celle de ma belle inconnue. Imagine-toi que l’autre soir, comme je portais mes regards vers une des fenêtres de la maison, les deux petits volets intérieurs s’ouvrirent tout-à-coup et j’aperçus… tu devines ?… ma belle inconnue en corps et en âme se penchant pour regarder dehors !… Tu peux croire si le cœur me bondit. Je fus tellement effrayé que je pris la fuite comme un fou, sans trop savoir où j’allais, et je ne suis pas retourné là depuis. J’y retournerai toutefois, mais je ne veux pas savoir son nom. Ah ! quand on aime comme moi, mon cher ami, qu’il est triste d’être pauvre !


« Adieu et au revoir.

« Gustave Charmenil. »