Toute la grande journée du 16 avril fut employée à l’accomplissement de cette tâche. Dans les douze heures passées à faire ces trois lieues, Jean Rivard eût parcouru avec beaucoup moins de fatigue, trois cents milles sur un chemin de fer ordinaire.
Nous n’en finirions pas s’il fallait dire les haltes fréquentes, les déviations forcées pour éviter un mauvais pas ou sortir d’un bourbier. Et pourtant tout cela s’exécuterait beaucoup plus facilement, et surtout beaucoup plus promptement, sur le papier que sur le terrain.
Il fallait être endurci aux fatigues comme l’était notre défricheur pour tenir ainsi debout toute une longue journée, courant deçà et delà, au milieu des neiges et à travers les arbres, sans presque un instant de repos.
Jamais Jean Rivard ne comprit si bien le découragement qui avait dû s’emparer d’un grand nombre des premiers colons. Pour lui, le découragement était hors de question, — ce mot ne se trouvait pas dans son dictionnaire, — et comme il l’exprimait énergiquement : le diable en personne ne l’eût pas fait reculer d’un pouce. Mais les lenteurs qu’il fallait subir et la perte de temps qui s’en suivait le révoltaient au point de le faire sortir de sa réserve et de sa gaîté ordinaires.
On peut s’imaginer si Pierre Gagnon ouvrit de grands yeux en voyant vers le soir arriver à sa cabane une procession disposée à peu près dans l’ordre suivant : premièrement, Jean Rivard conduisant deux bœufs destinés aux travaux de défrichement ; secondement, Lachance conduisant « la Caille » (c’était le nom de la vache) ; troisièmement enfin, les hommes