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JEAN RIVARD

les grosses pièces, ce qu’on évitait autant que possible, les deux bœufs, attelés au moyen d’un joug et d’un grossier carcan de bois, venaient en aide aux travailleurs, en traînant, à l’aide de forts traits de fer, ces énormes troncs d’arbres les uns auprès des autres ; puis, nos trois hommes, au moyen de rances et de leviers, complétaient le tassage, en empilant ces pièces et les rapprochant le plus possible.

C’est là qu’on reconnaît la grande utilité d’une paire de bœufs. Ces animaux peuvent être regardés comme les meilleurs amis du défricheur : aussi Jean Rivard disait-il souvent en plaisantant que si jamais il se faisait peindre, il voulait être représenté guidant deux bœufs de sa main gauche et tenant une hache dans sa main droite.

Le défricheur qui n’a pas les moyens de se procurer cette aide est bien forcé de s’en passer, mais il est privé d’un immense avantage. Ces animaux sont de beaucoup préférables aux chevaux pour les opérations de défrichement. Le cheval, ce fier animal « qui creuse du pied la terre et s’élance avec orgueil, » ne souffre pas d’obstacle ; il se cabre, se précipite, s’agite, jusqu’à ce qu’il rompe sa chaîne ; le bœuf, toujours patient, avance avec lenteur, recule au besoin, se jette d’un côté ou de l’autre, à la voix de son maître ; qu’il fasse un faux pas, qu’il tombe, qu’il roule au milieu des troncs d’arbres, il se relèvera calme, impassible, comme si rien n’était arrivé, et reprendra l’effort interrompu un instant par sa chûte.

Les deux bœufs de nos défricheurs étaient plus particulièrement les favoris de Pierre Gagnon ; c’est lui qui les soignait, les attelait, les guidait ; il leur parlait comme s’ils eussent été ses compagnons d’en-