Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/138

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que je lui ai forgées, le juge d’instruction l’accable, il se trouble ; il n’avoue pas, mais il est confondu.

Et autour de ce personnage principal, que de personnages secondaires, les complices, les instigateurs du crime, les amis, les ennemis, les témoins ! Les uns sont terribles, effrayants, lugubres, les autres grotesques. Et vous ne savez pas ce qu’est le comique dans l’horrible.

La cour d’assises, voilà mon dernier tableau. L’accusation parle, mais c’est moi qui ai fourni les idées ; les phrases sont les broderies jetées sur le canevas de mon rapport. Le président pose les questions aux jurés ; quelle émotion ! C’est le sort de mon drame qui se décide. Le jury répond : Non. C’en est fait, ma pièce était mauvaise, je suis sifflé. Est-ce oui, au contraire, c’est que ma pièce était bonne ; on m’applaudit, je triomphe.

Sans compter que le lendemain je puis aller voir mon principal acteur, et lui frapper sur l’épaule en lui disant : « Tu as perdu, mon vieux, je suis plus fort que toi ! »

M. Lecoq, en ce moment même, était-il de bonne foi, ou jouait-il une comédie ! Quel était le but de cette autobiographie ?

Sans paraître remarquer la surprise de ses auditeurs, il prit un nouveau londrès qu’il alluma au-dessus du verre de la lampe. Puis, soit calcul, soit inadvertance, au lieu de replacer cette lampe sur la table, il la posa sur le coin de la cheminée. De cette façon, grâce au grand abat-jour, la figure du père Plantat se trouvait en pleine lumière, tandis que celle de l’agent de la sûreté, demeuré debout, restait dans l’ombre.

— Je dois avouer, reprit-il, sans fausse modestie, que j’ai rarement été sifflé. Et cependant, je ne suis pas aussi fat qu’on veut bien le dire. Comme tout homme, j’ai mon talon d’Achille. J’ai vaincu le démon du jeu, je n’ai pas triomphé de la femme.

Il poussa un gros soupir qu’il accompagna de ce geste tristement résigné des hommes qui ont pris leur parti.

— C’est ainsi. Il est telle femme, pour laquelle je ne