Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/153

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cette chambre bouleversée, lorsqu’à trois pas de lui, à terre, gît le cadavre chaud encore, palpitant.

Se regarder, se voir dans une glace après un meurtre, est, entendez-moi bien, un acte d’épouvantable énergie dont peu de criminels sont capables.

Du reste, les mains du comte tremblaient si fort, qu’à peine il pouvait tenir le rasoir, et sa figure doit être sillonnée de balafres.

— Quoi ! s’écria le docteur Gendron, vous supposez que le comte a perdu son temps à se raser.

— J’en suis positivement sûr, répondit M. Lecoq ; po-si-ti-ve-ment, ajouta-t-il en appuyant sur toutes les syllabes.

Une serviette sur laquelle j’ai reconnu une de ces marques — une seule — que laisse le rasoir quand on l’essuie, m’a mis sur la trace de ce détail.

J’ai cherché, et j’ai trouvé une boîte de rasoirs ; l’un d’eux avait servi depuis bien peu de temps, car il était encore humide.

J’ai serré soigneusement la serviette et la boîte.

Et si ces preuves ne suffisent pas pour appuyer mon affirmation, je ferai venir de Paris deux de mes hommes, et ils sauront bien découvrir quelque part, dans le château ou dans le jardin, et la barbe de M. de Trémorel et le linge sur lequel il a essuyé son rasoir. J’ai examiné soigneusement le savon resté sur la toilette, et tout me fait supposer que le comte ne s’est pas servi de blaireau.

Quant à l’idée qui vous surprend, monsieur le docteur, elle me paraît à moi naturelle ; je dirai plus, elle est la conséquence nécessaire du plan adopté.

M. de Trémorel a toujours porté toute sa barbe, il la coupe, et sa physionomie est à ce point changée que si, dans sa fuite, il rencontre quelqu’un, on ne le reconnaîtra pas.

Le docteur Gendron dut être convaincu, car il eut un geste d’assentiment, et murmura :

— C’est clair, c’est évident !