Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/171

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de toute morale, son manque absolu de principes et son scepticisme idiot.

Et faible, avec cela. Ayant des caprices, jamais une volonté. Faible comme l’enfant, comme la femme, comme la fille.

On retrouve sa biographie dans tous les petits journaux du moment, qui colportaient à l’envi les mots qu’il faisait ou qu’il aurait pu faire à ses heures de loisir.

Ses moindres faits et gestes sont relatés.

Une nuit, soupant au café de Paris, il jette toute la vaisselle par la fenêtre ; c’est mille louis qu’il en coûte. Bravo ! Le lendemain, après boire, il fait scandale avec une drôlesse dans une loge d’avant-scène, et il faut l’intervention du commissaire de police. On n’est pas plus régence.

Un matin, Paris-badaud apprend avec stupeur qu’il s’envole en Italie avec la femme du banquier X… une mère de famille de dix-neuf ans.

Il se bat en duel et blesse son adversaire. Quel courage ! La semaine suivante, c’est lui qui reçoit un coup d’épée. C’est un héros !

Une fois, il va à Bade et fait sauter la banque. Une autre fois, après une séance de jeu de soixante heures, il réussit à perdre 120,000 francs contre un prince russe.

Il est de ces esprits que le succès exalte, qui convoitent les applaudissements, mais qui jamais ne s’inquiètent de la nature de ceux qu’ils obtiennent. Le comte Hector était un peu plus que ravi du bruit qu’il faisait par le monde. Avoir sans cesse son nom ou ses initiales dans les bulletins du Monde parisien lui paraissait le comble de l’honneur et de la gloire.

Il n’en laissait rien paraître, toutefois, et même avec une désinvolture charmante, il disait après chaque nouvelle aventure :

— Ne cessera-t-on donc jamais de s’occuper de moi ?

Puis, dans les grandes occasions, empruntant un mot à Louis XV, il disait :

— Après moi le déluge.