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Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/173

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commissions et des pots de vin, d’emprunter toujours et de ne jamais rendre, Hector avait dévoré le patrimoine princier, — près de quatre millions en terres, — recueilli à la mort de son père.

L’hiver qui venait de s’écouler lui avait coûté cinquante mille écus. Il y avait huit jours qu’ayant tenté un dernier emprunt de cent mille francs, il avait échoué.

On l’avait refusé, non que ses propriétés ne valussent plus qu’il ne devait, mais les prêteurs sont prudents et ils savent l’incroyable dépréciation des biens vendus aux enchères.

C’est pourquoi le valet de chambre du comte de Trémorel, entrant et disant : « Monsieur, c’est l’huissier, » semblait en réalité quelque spectre de commandeur criant : « Au pistolet, maintenant. »

Il prit crânement l’avertissement et se leva en murmurant :

— Allons, c’est fini.

Il était fort calme et plein d’un beau sang-froid, bien qu’un peu étourdi. Mais le vertige est assez excusable, lorsque, sans transition, on passe de tout à rien.

Sa conviction étant qu’il faisait sa dernière toilette, il ne voulait pas qu’elle fût inférieure à ses toilettes de tous les jours. — Parbleu ! C’est en grande tenue de cour que la noblesse française allait au combat.

En moins d’une heure, il fut prêt. Il passa, comme d’ordinaire, sa chaîne de montre à coulants de brillants dans la boutonnière de son gilet, puis il glissa dans la poche de côté de son léger pardessus une paire de mignons pistolets à deux coups, à crosse d’ivoire, chef-d’œuvre de Brigt, l’artiste armurier anglais.

Alors, il renvoya son domestique, et ouvrant son secrétaire il inventoria ses suprêmes ressources.

Il lui restait dix mille et quelques cents francs.

Avec cette somme, il pouvait entreprendre un voyage, prolonger son existence de deux ou trois mois, mais il repoussa avec horreur la pensée — indigne de son beau