Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/177

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Or, les rivales de Fancy habitaient au faubourg du Temple, tout en haut, près de la barrière ; elles ne pouvaient envier sa splendeur qu’elles ne connaissaient pas, et il lui était absolument interdit d’aller se montrer à elles, d’aller les éclabousser. À quoi bon, alors, une voiture !

Quant à Trémorel, Jenny le subissait, ne pouvant faire autrement. Il lui semblait le plus ennuyeux des hommes. Ses amis, elle les considérait tous comme des êtres assommants.

Peut-être sentait-elle un écrasant mépris sous les manières ironiquement polies, et comprenait-elle combien peu elle était, pour tous ces gens riches, ces viveurs, ces joueurs, ces blasés, ces repus.

Ses plaisirs, et encore elle les goûtait modérément, étaient une soirée chez quelque femme dans sa position, une nuit de baccarat où elle gagnait, un souper où elle gâchait tout.

Le reste du temps, elle s’ennuyait.

Elle s’ennuyait à périr, elle avait la nostalgie de la ruelle fangeuse de son quartier, de son garni infect.

Cent fois elle eut envie de planter là Trémorel, de renoncer à son luxe, à son argent, à ses domestiques et de reprendre son ancienne existence. Dix fois, elle fit son paquet, toujours l’amour-propre la retint au dernier moment.

Telle est, aussi exactement que possible, la femme chez laquelle ce matin de la saisie, le comte Hector se présenta sur les onze heures.

Certes, elle ne l’attendait guère si matin, et elle fut bien surprise quand il lui annonça qu’il venait lui demander à déjeuner, la priant de faire se dépêcher la cuisinière, parce qu’il était fort pressé.

Jamais miss Fancy n’avait vu son amant si aimable, jamais surtout elle ne l’avait vu si gai. Tant que dura le déjeuner, il fut, comme il se l’était promis, étincelant de verve.