Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/180

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Elle réfléchit un moment, et tout étonnée, comme après une découverte :

— Tiens ! dit-elle, c’est pourtant vrai. Depuis longtemps Hector ne s’était autant amusé.

— Mais, reprit gravement miss Fancy, je puis dépenser moins, oh ! oui, beaucoup moins, et être, je te l’assure, tout aussi heureuse. Autrefois, avant de te connaître, quand j’étais jeune, — elle avait dix-neuf ans, — dix mille francs me semblaient une de ces sommes fabuleuses dont on parle, mais que peu d’hommes ont vue réunie en un seul tas, que bien peu ont tenue entre les mains.

Elle essayait de glisser les billets dans la poche du comte qui se défendait.

— Ainsi, tiens, reprends, garde…

— Que veux-tu que j’en fasse ?

— Je ne sais, mais il me semble que cet argent peut en rapporter d’autre. Ne peux-tu jouer à la Bourse, parier aux courses, gagner à Bade, tenter quelque chose enfin ? J’ai entendu parler de gens qui maintenant sont riches comme des rois, qui ont commencé avec rien, et qui n’avaient pas ton éducation à toi, qui as tout vu, qui connais tout. Que ne fais-tu comme eux ?

Elle parlait vivement, avec cet entraînement de la femme qui cherche à faire triompher son idée.

Et lui, la regardait, stupéfait de lui trouver cette sensibilité, cet intérêt désintéressé à sa personne, plus étonné qu’un prosecteur de l’école, qui, préparant sa leçon, rencontrerait le cœur de son sujet à droite au lieu de le découvrir à gauche.

— Tu veux bien, n’est-ce pas ? insistait-elle, tu veux bien…

Il secoua l’espèce de torpeur pleine de charmes où le plongeait la mine câline de sa maîtresse.

— Oui, lui dit-il, tu es une bonne fille, mais prends ces cinq cents louis puisque je te les donne, et ne t’inquiète de rien.

— Mais toi ? as-tu encore de l’argent ? que te reste-t-il ?