Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/185

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Il voyait les grimaces contrites dissimulant mal une intime et délicieuse satisfaction. Il avait, en sa vie, blessé tant de vanités, écrasé tant d’amours-propres, qu’il devait s’attendre à de terribles représailles.

Et pourquoi ne pas tout dire ? Les amis d’un homme que favorise une insolente prospérité, ressemblent tous, plus ou moins, — volontairement ou sans s’en douter, — à cet excentrique Anglais qui suivait un dompteur de bêtes féroces avec le doux espoir de le voir dévorer. La fortune, aussi, dévore parfois ceux qui la domptent.

Hector traversa donc la chaussée, prit la rue Duphot et gagna les quais.

Où allait-il ? Il n’en savait rien, il ne se le demandait même pas.

Il marchait au hasard, longeant les parapets, respirant à pleins poumons l’air pur et vif, savourant cette béatitude physique qui suit un bon repas, heureux de se sentir vivre, aux tièdes rayons du soleil d’avril.

Le temps était splendide, et Paris entier était dehors. La ville avait un air de fête, les flâneurs encombraient les rues, la foule affairée ralentissait sa course, toutes les femmes étaient jolies.

À un angle des ponts, des marchandes tenaient leur éventaire plein de violettes qui embaumaient.

Près du Pont-Neuf, le comte acheta un de ces bouquets qu’on crie à dix centimes, et le passa à sa boutonnière. Il jeta vingt sous à la marchande, et sans attendre qu’on lui rendît la monnaie, il continua sa route.

Arrivé à cette grande place qui est au bout du boulevard Bourdon, et qui est toujours encombrée de saltimbanques et de montreurs de curiosités en plein vent, la foule, le bruit, le déchirement des musiques, l’arrachèrent à sa torpeur, le ramenant brusquement à la situation présente.

— Il s’agit, pensa-t-il, de quitter Paris.

Et, d’un pas plus rapide, il s’achemina vers la gare d’Orléans, dont on aperçoit les bâtiments en face, de l’autre côté de la Seine.