Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/206

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— Lui ! pourquoi ?

— Le Valfeuillu est bien tranquille, nous sommes de pauvres campagnards…

Berthe parlait pour parler, pour rompre un silence qui lui pesait, pour forcer Trémorel à répondre et entendre sa voix.

Tout en parlant elle l’observait et étudiait l’effet qu’elle lui produisait. D’ordinaire, sa rayonnante beauté frappait ceux qui la voyaient pour la première fois, d’un visible étonnement.

Lui restait impassible.

Ah ! qu’elle reconnaissait bien à cette froide, à cette superbe indifférence, le grand seigneur blasé, le viveur qui a tout essayé, tout éprouvé, tout épuisé. Et de ce qu’il ne l’admirait pas, elle l’admirait davantage.

— Quelle différence, pensait-elle, avec ce vulgaire Sauvresy, qu’un rien étonne, qui s’ébahit de tout, dont la physionomie trahit toutes les impressions, dont l’œil annonce tout ce qu’il va dire bien avant qu’il ouvre la bouche !

Berthe se trompait, Hector n’était ni si froid ni si impassible qu’elle le supposait. Hector tombait simplement de lassitude. Ses nerfs bandés outre mesure pendant vingt-quatre heures se détendaient, et c’est à peine s’il pouvait se soutenir.

Bientôt il demanda la permission de se retirer.

Resté seul avec sa femme, Sauvresy racontait à Berthe les circonstances déplorables — ce fut son mot — qui amenaient le comte au Valfeuillu. Ami sincère, il évitait tous les détails capables de donner un ridicule à son ami.

— C’est un grand enfant, disait-il, un fou, son cerveau est malade, mais nous le soignerons, nous le guérirons.

Jamais Berthe n’avait écouté son mari avec cette attention. Elle semblait l’approuver, mais en réalité elle admirait Trémorel. Oui, comme miss Fancy, elle était frappée de cet héroïsme : Gaspiller sa fortune et se tuer après.