Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/227

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— Il faut être sage, vois-tu, Jenny, disait-il, et pour un temps cesser de nous voir. Je suis ruiné, tu le sais, un mariage seul peut me sauver.

Hector s’était préparé à une explosion terrible de fureur, à des cris perçants, à des attaques de nerfs, à des évanouissements. Rien. À sa grande stupéfaction, miss Fancy ne répondit pas un seul mot.

Seulement, elle devint plus blanche que sa collerette, ses lèvres d’ordinaire si rouges blêmirent, ses grands yeux s’injectèrent, non de sang, mais de bile.

— Ainsi, fit-elle, les dents serrées par sa colère contenue, ainsi tu te maries !

— Il le faut bien, hélas ! répondit-il, avec un soupir hypocrite, songe que dans ces derniers temps je n’ai pu t’être utile qu’en empruntant de l’argent à mon ami ; sa bourse ne sera pas éternellement à ma disposition.

Miss Fancy prit les mains d’Hector et l’attira au jour, près de la fenêtre. Là, le fixant, comme si l’obstination de son regard eût pu faire tressaillir la vérité en lui, elle lui dit lentement, en scandant ses mots :

— C’est bien vrai, n’est-ce pas, si tu m’abandonnes, c’est pour te marier ?

Hector dégagea une de ses mains pour l’appuyer sur son cœur.

— Je te le jure sur mon honneur, affirma-t-il.

— Alors, je dois te croire.

Jenny était revenue au milieu de la chambre. Debout, devant la glace, elle remettait son chapeau, disposant gracieusement les brides, tranquillement, comme si rien ne s’était passé.

Quand elle fut prête à sortir, elle revint à Trémorel :

— Une dernière fois, demanda-t-elle d’un ton qu’elle s’efforçait de rendre ferme et que démentaient ses yeux brillants d’une larme près de rouler, une dernière fois, Hector, c’est bien fini ?

— Il le faut.

Fancy eut un geste que Trémorel ne vit pas, sa figure prit une expression méchante, ses lèvres s’entr’ouvrirent