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Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/249

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dû l’éclaircir s’il n’eût été frappé d’aveuglement. Il se rappelait maintenant certains regards de Berthe, certaines inflexions de voix qui étaient un aveu.

Et dans toute cette histoire du mariage de Trémorel avec Mlle Courtois, s’était-on assez moqué de sa crédulité ! Ainsi s’expliquaient, croyait-il, les hésitations d’Hector, ses enthousiasmes soudains, ses revirements inattendus.

Ce projet, qui traînait depuis si longtemps, c’était un bandeau plus épais appliqué sur ses yeux.

Par moments, il essayait de douter. Il est de ces malheurs si grands qu’il faut plus que l’évidence pour qu’on y croie absolument.

— Ce n’est pas possible, murmurait-il, ce n’est pas possible !

Assis sur un tronc d’arbre renversé, au milieu de la forêt de Mauprévoir, il étudiait, pour la dixième fois depuis quatre heures, cette lettre fatale.

— Elle prouve tout, disait-il, et elle ne prouve rien.

Et il relisait encore :

« N’allez pas demain à Petit-Bourg… »

Eh bien ! n’avait-il pas été, dans sa confiance imbécile, jusqu’à dire maintes et maintes fois au comte de Trémorel :

— Je serai absent demain, reste donc pour tenir compagnie à Berthe.

Cette phrase n’avait donc aucune signification positive. Mais pourquoi avoir ajouté :

« … Ou plutôt revenez-en avant déjeuner. »

Voilà qui décélait la crainte, c’est-à-dire la faute. Partir, revenir aussitôt, c’était prendre une précaution, aller au-devant d’un soupçon.

Puis, pourquoi « il, » et non pas Clément ? L’expression de ce mot est saisissante. « Il, » c’est l’être cher, l’adoré, ou le maître que l’on exècre. Pas de milieu : c’est le mari ou l’amant. « Il » n’est jamais un indifférent. Un mari est perdu le jour où sa femme, en parlant de lui, dit : « Il. »