Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/336

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Il sonna, un huissier parut.

— A-t-on reconduit, demanda-t-il, Guespin à la prison ?

— Pas encore, monsieur.

— Tant mieux ! Dites qu’on me l’amène.

M. Lecoq ne se possédait pas de joie. Il n’avait pas osé compter à ce point sur son éloquence, il n’espérait pas surtout un succès si prompt et si surprenant, étant donné le caractère de M. Domini.

— Il parlera, disait-il, si plein de confiance, que son œil terne s’était rallumé et qu’il oubliait le portrait de la bonbonnière, il parlera, j’ai, pour lui délier la langue, trois moyens, dont un au moins réussira. Mais avant qu’il arrive, de grâce monsieur le juge de paix, un renseignement ? Savez-vous si, après la mort de Sauvresy, Trémorel a revu son ancienne maîtresse ?

— Jenny Fancy ? demanda le père Plantat un peu surpris.

— Oui, miss Fancy.

— Certainement, il l’a revue.

— Plusieurs fois ?

— Assez souvent. À la suite de la scène de la Belle Image, la malheureuse s’est jetée dans la plus affreuse débauche. Avait-elle des remords de sa délation, comprenait-elle qu’elle avait tué Sauvresy, eut-elle un soupçon du crime, je l’ignore. Toujours est-il qu’à partir de ce moment elle s’est mise à boire avec fureur, s’enfonçant plus profondément dans la boue de semaine en semaine…

— Et le comte pouvait consentir à la revoir ?

— Il y était bien obligé. Elle le harcelait, il avait peur d’elle. Dès qu’elle n’avait plus d’argent, elle lui en envoyait demander par des commissionnaires à figure patibulaire, et il en donnait. Une fois il refusa, le soir même elle arriva elle-même, ivre, et il eut toutes les peines du monde à la renvoyer. En somme, elle savait qu’il avait été l’amant de Mme Sauvresy, elle le menaçait, c’était un chantage organisé. Je tiens de lui l’his-