Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/355

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pas de leur magasin, se disent : « Eh ! connaissez-vous ce monsieur-là ? »

Pourtant il est deux villes où on peut passer inaperçu : Marseille et Lyon. Mais elles sont fort éloignées, mais il faut risquer un long voyage. Et rien n’est si dangereux que le chemin de fer depuis l’établissement du télégraphe électrique. On fuit, c’est vrai, on va vite, c’est positif, mais en entrant dans un wagon on se ferme toute issue, et jusqu’à l’instant où on descend, on reste sous la main de la police.

Trémorel sait tout cela aussi bien que nous. Écartons donc toutes les villes de province. Écartons aussi Lyon et Marseille.

— Impossible, en effet, de se cacher en province !

— Pardon, il est un moyen. Il s’agit simplement d’acheter loin de toute ville, loin du chemin de fer, quelque propriété modeste et d’aller s’y établir sous un faux nom. Mais ce moyen excellent est fort au-dessus de la portée de notre homme, et son exécution nécessite des démarches préparatoires qu’il ne pouvait risquer, surveillé comme il l’était par sa femme.

Ainsi le champ des investigations utiles se rétrécit singulièrement. Nous laissons de côté l’étranger, la province, les grandes villes, la campagne ; reste Paris. C’est à Paris, monsieur, que nous devons chercher Trémorel.

M. Lecoq s’exprimait avec l’aplomb et la certitude d’un professeur de mathématiques sorti de l’école normale, qui, debout devant le tableau noir, la craie à la main, démontre victorieusement à ses élèves que deux lignes parallèles, indéfiniment prolongées, ne se rencontreront jamais.

Le vieux juge de paix écoutait, lui, comme n’écoutent pas les écoliers. Mais déjà il s’habituait à la lucidité surprenante de l’agent de la sûreté et il ne s’émerveillait plus. Depuis vingt-quatre heures qu’il assistait aux calculs et aux tâtonnements de M. Lecoq, il saisissait le mécanisme de ses investigations et s’appropriait presque