Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/363

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c’est incroyable, sur ma parole. Dirait-on que c’est dans son laboratoire qu’a été volé ce poison qu’il cherche dans le cadavre de Sauvresy ? Que dis-je ? Ce cadavre n’est plus pour lui que de la « matière suspecte. » Et déjà il se voit à la cour d’assises discutant les mérites de son papier sensibilisé.

— Il est de fait qu’il a raison de compter sur des contradicteurs.

— Et en attendant il s’exerce, il expérimente, il analyse du plus beau sang-froid du monde ; il continue son abominable cuisine, il fait bouillir, il filtre, il prépare ses arguments !…

M. Lecoq était bien loin de partager la colère du juge de paix.

Même, cette perspective de débats acharnés lui souriait assez. D’avance il se figurait quelque terrible lutte scientifique, rappelant la dispute célèbre d’Orfila et de Raspail, des chimistes de province et des chimistes de Paris.

— Il est certain, prononça-t-il, que si ce lâche gredin de Trémorel a assez de tenue pour nier l’empoisonnement de Sauvresy, ce qui sera son intérêt, nous assisterons à un superbe procès.

Ce seul mot : procès, mit brusquement fin aux longues irrésolutions du père Plantat.

— Il ne faut pas, s’écria-t-il, non, il ne faut pas qu’il y ait de procès.

L’incroyable violence de ce père Plantat, si calme, si froid, si maître de soi habituellement, parut confondre M. Lecoq.

— Eh ! eh ! pensa-t-il, je vais tout savoir.

Puis, à haute voix, il ajouta :

— Comment, pas de procès ?

Le père Plantat était devenu plus blanc que son linge, un tremblement nerveux le secouait, sa voix était rauque et comme brisée par des sanglots.

— Je donnerais ma fortune, reprit-il, pour éviter des débats. Oui, toute ma fortune et ma vie par dessus le