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Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/365

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reuse, et je restais l’ami de la femme après avoir été le confident de la jeune fille. Si je m’occupais de ma fortune, qui est considérable, c’est que je pensais à ses enfants, c’est pour eux que je thésaurisais. Pauvre, pauvre Laurence.

M. Lecoq paraissait mal à l’aise sur son fauteuil, il s’agitait beaucoup, il toussait, il passait son mouchoir sur sa figure, au risque d’effacer sa peinture. La vérité est qu’il était bien plus ému qu’il ne le voulait laisser paraître.

— Un jour, poursuivit le père Plantat, mon ami Courtois me parla du mariage de sa fille et du comte de Trémorel. Ce jour-là je mesurai la profondeur de mon amour. Je ressentais de ces douleurs atroces qu’il est impossible de décrire. Ce fut comme un incendie qui a longtemps couvé et qui tout à coup, si on ouvre une fenêtre, éclate et dévore tout. Être vieux et aimer une enfant ! J’ai cru que je deviendrais fou. J’essayais de me raisonner, de me railler, à quoi bon ! Que peuvent contre la passion, la raison ou les sarcasmes. « Vieux céladon ridicule, me disais-je, ne rougis-tu pas, veux-tu bien te taire ! » Je me taisais et je souffrais. Pour comble, Laurence m’avait choisi pour confident ; quelle torture ! Elle venait me voir pour me parler d’Hector. En lui, elle admirait tout et il lui paraissait supérieur aux autres hommes, à ce point que nul ne pouvait même lui être comparé. Elle s’extasiait sur sa hardiesse à cheval, elle trouvait ses moindres propos sublimes. J’étais fou, c’est vrai, mais elle était folle.

— Saviez-vous, monsieur, quel misérable était ce Trémorel ?

— Hélas ! je l’ignorais encore. Que m’importait à moi, cet homme qui vivait au Valfeuillu ! Mais du jour où j’ai su qu’il allait me ravir mon plus précieux trésor, qu’on allait lui donner ma Laurence, j’ai voulu l’étudier. J’aurais trouvé une sorte de consolation à le savoir digne d’elle. Je me suis donc attaché à lui, M. Lecoq, comme vous vous attachez au prévenu que vous poursuivez. Que de