Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/368

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si elle ne l’a pas encouragé. Berthe était sa rivale, elle devait la haïr. Juge d’instruction, je n’hésiterais pas, je comprendrais Laurence dans mon accusation.

— Vous et moi aidant, monsieur, elle démontrera victorieusement qu’elle ignorait tout, qu’elle a été abominablement trompée.

— Soit ! En sera-t-elle moins déshonorée, perdue à tout jamais ! Ne lui faudra-t-il pas, quand même, paraître à l’audience, répondre aux questions du président, raconter au public sa honte et ses malheurs ? Ne faudra-t-il pas qu’elle dise où, quand et comment elle a failli, qu’elle répète les paroles de son séducteur, qu’elle énumère les rendez-vous ? Comprenez-vous qu’elle se soit résignée à annoncer son suicide, au risque de faire mourir de douleur toute sa famille ? Non, n’est-ce pas ? Elle devra expliquer quelles menaces ou quelles promesses ont pu lui faire accepter cette idée horrible qui, certes, n’est pas d’elle. Enfin, pis que tout cela, elle sera forcée de confesser son amour pour Trémorel.

— Non, répondit l’agent de la sûreté, n’exagérons rien. Vous savez comme moi que la justice a des ménagements infinis pour les innocents dont le nom se trouve compromis dans des affaires de ce genre.

— Des ménagements ? Eh ! la justice en pourrait-elle garder, quand elle le voudrait, avec cette absurde publicité qu’on donne maintenant aux débats ! Vous toucherez le cœur des magistrats, je le veux bien ; attendrirez-vous cinquante journalistes qui, depuis que le crime du Valfeuillu est connu, taillent leurs plumes et préparent leur papier ? Est-ce que les journaux ne sont pas là, toujours à l’affût de ce qui peut piquer et reveiller la malsaine curiosité de la foule. Pensez-vous que, pour nous plaire, ils vont laisser dans l’ombre ces scandaleux débats que je redoute et auxquels le grand nom et la situation du coupable donneront un attrait immense. Est-ce qu’il ne réunit pas, ce procès, toutes les conditions qui assurent le succès des drames judiciaires ? Oh ! rien n’y manque, ni l’adultère, ni le poison, ni la vengeance, ni le meur-