Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/395

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il jugea que les dispositions intérieures étaient bien telles que le disait Pâlot.

— C’est bien cela, dit-il au père Plantat, nous avons la position pour nous. Nos chances sont à cette heure de quatre-vingt-dix sur cent.

— Qu’allez-vous faire ? demanda le vieux juge de paix que l’émotion gagnait à mesure qu’approchait le moment décisif.

— Pour le moment, rien, je ne veux agir que la nuit venue. Ainsi, ajouta-t-il presque gaîment, puisque nous avons deux heures à nous, faisons comme nos hommes, je sais justement dans ce quartier, à deux pas, un restaurant où on dîne fort bien, allons dîner.

Et sans attendre la réponse du père Plantat, il l’entraîna vers le restaurant du passage du Hâvre.

Mais au moment de mettre la main sur le bouton de la porte, il s’arrêta et fit un signe. Pâlot aussitôt s’approcha.

Je te donne deux heures, lui dit-il, pour te faire une tête que ne reconnaisse pas le portier de tantôt et pour manger une bouchée. Tu es garçon tapissier. File vite, je t’attends dans ce restaurant.

Ainsi que l’avait affirmé M. Lecoq, on dîne très-bien au restaurant du Hâvre. Le malheur est que le père Plantat ne put en juger. Plus que le matin encore, il avait le cœur serré, et avaler une seule bouchée lui eût été impossible. Si seulement il eût connu quelque chose des projets de son guide ! Mais l’agent de la sûreté était resté impénétrable, se contentant de répondre à toutes les questions :

— Laissez-moi faire, fiez-vous à moi.

Certes, la confiance de M. Plantat était grande, mais plus il réfléchissait, plus cette tentative de soustraire Trémorel à la cour d’assises lui paraissait périlleuse, hérissée d’insurmontables difficultés, presque insensée. Les doutes les plus poignants assiégeaient son esprit et le torturaient. C’était sa vie, en somme, qui se jouait, car il s’était juré qu’il ne survivrait pas à la perte de Lau-