Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/400

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— Compris ! fit le Pâlot, qui s’éloigna en courant.

Restés seuls, le père Plantat et l’agent de la sûreté commencèrent à arpenter lentement la galerie. Ils étaient graves, silencieux comme on l’est toujours au moment décisif d’une partie ; on ne parle pas autour des tables de jeu.

Tout à coup, M. Lecoq tressaillit, il venait d’apercevoir son agent à l’extrémité de la galerie. Si vive était son impatience qu’il courut à lui :

— Eh bien ?

— Monsieur, le gibier est lancé et Pâlot le file[1].

— À pied ou en voiture ?

— En voiture.

— Il suffit. Rejoins tes camarades et dis-leur de se tenir prêts.

Tout marchait au gré des désirs de M. Lecoq, et il se retournait triomphant vers le vieux juge de paix, lorsqu’il fut frappé de l’altération de ses traits.

— Vous trouveriez-vous indisposé, monsieur ? demanda-t-il, tout inquiet.

— Non, mais j’ai cinquante-cinq ans, M. Lecoq, et à cet âge il est des émotions qui tuent. Tenez, au moment de voir mes vœux se réaliser, je tremble, je sens qu’une déception serait ma mort. J’ai peur, oui, j’ai peur… Ah ! que ne puis-je me dispenser de vous suivre !

— Mais votre présence est indispensable, monsieur, sans vous, sans votre aide, je ne puis rien.

— À quoi vous serai-je bon ?

— À sauver Mlle Laurence, monsieur.

Ce nom, ainsi prononcé, rendit au juge de paix d’Orcival une partie de son énergie.

— S’il en est ainsi !… fit-il.

Déjà il s’avançait résolument vers la rue, M. Lecoq le retint.

— Pas encore, disait-il, pas encore ; le gain de la ba-

  1. Filer, v. act., suivre.