Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/173

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Pour Prosper, la situation était poignante, extrême ; il n’hésita pas. L’enthousiasme de la difficulté vaincue, l’espoir du triomphe, lui donnaient une force et une agilité qu’il ne se connaissait pas. Il s’enleva sans secousse, jusqu’aux échelons inférieurs, et se lança sur l’échelle qui tremblait et ; vacillait sous son poids.

Mais sa tête avait à peine dépassé l’appui de la fenêtre, qu’il poussa un grand cri, un cri terrible, qui se perdit au milieu des mugissements de la tempête, et qu’il se laissa glisser ou plutôt tomber sur la terre détrempée, en criant :

— Misérable !… Misérable !…

Avec une promptitude et une vigueur extraordinaire, M. Verduret reposa sur le sol la lourde échelle et se précipita vers Prosper, craignant qu’il ne fût dangereusement blessé.

Qu’avez-vous vu ? demandait-il, qu’y a-t-il ?

Mais déjà Prosper était debout.

Si la chute avait été rude, il était dans une de ces crises où l’âme souveraine domine si absolument la bête, que le corps est insensible à la douleur.

— Il y a, répondit-il, d’une voix rauque et brève, que c’est Madeleine, entendez-vous bien, Madeleine, qui est là, dans cette chambre, seule avec Raoul.

M. Verduret était confondu. Lui, l’homme infaillible, ses déductions l’avaient égaré !

Il savait bien que c’était une femme qui était chez M. de Lagors ; mais, d’après ses conjectures, d’après le billet que Gypsy lui avait fait tenir à l’estaminet, il croyait que cette femme était Mme  Fauvel.

— Ne vous seriez-vous pas trompé ? demanda-t-il.

— Non, monsieur, non ! Je ne saurais, moi, prendre une autre femme pour Madeleine. Ah ! vous qui l’avez entendue hier, répondez-moi ; devais-je m’attendre à cette trahison infâme ? « Elle vous aime, me disiez-vous, elle vous aime ! »

M. Verduret ne répondit pas. Étourdi d’abord de son erreur, il en recherchait les causes, et déjà son esprit pénétrant commençait à les discerner.