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Il n’était pas maître d’un triste retour sur lui-même, et malgré lui sa pensée s’égarait dans le passé.

Que d’événements depuis ces jours de l’adolescence où il courait le long de ces sentiers connus, où sur chaque porte le saluait un visage ami !

Alors, la vie lui apparaissait semblable à une de ces féeries où tous les désirs sont exaucés. Et, maintenant, il revenait flétri, usé, dégoûté des réalités, ayant vidé jusqu’à la lie la coupe de la honte, ruiné d’honneur et ruiné d’argent, n’ayant plus rien à attendre ni à perdre.

Et les quelques gens du village qu’il rencontrait s’arrêtaient et se retournaient pour regarder cet étranger aux souliers blancs de poussière.

La porte de la maison de Saint-Jean était ouverte, il entra, et ne trouvant personne dans l’immense, cuisine à cheminée monumentale, il appela.

— On y va ! répondit une voix.

Presque aussitôt, à la porte du fond, un homme d’une quarantaine d’années, à la figure honnête et souriante, apparut, surpris de trouver un étranger chez lui.

— Il y a quelque chose pour votre service ? monsieur, demanda-t-il.

— N’est-ce pas ici que demeure Saint-Jean, l’ancien valet de chambre du marquis de Clameran ?

— Mon père est mort depuis bientôt cinq ans, monsieur, répondit l’homme, d’une voix triste.

Cette nouvelle affecta péniblement Louis, comme si ce vieillard qu’il pensait retrouver eût pu lui rendre quelque chose de sa jeunesse. Il eut un soupir, et dit :

— Je suis le marquis de Clameran.

L’homme, à ces mots, poussa un grand cri de joie.

— Vous ! monsieur le marquis, s’écria-t-il, vous !

Il prit les mains de Louis, et les serrant avec un affectueux respect :

— Ah ! si mon pauvre père était encore de ce monde, poursuivait-il, quel ne serait pas son contentement ! Ses dernières paroles ont été pour ses anciens maîtres, monsieur le marquis. Que de fois il a gémi de ne point rece-