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ses idées plus éparpillées que les feuilles d’automne après l’ouragan, qu’elle put réfléchir.

Alors elle commença à se dire qu’elle s’était alarmée trop tôt et inutilement. De qui était cette lettre ? De Gaston, sans doute. Eh bien ! quel raison de trembler ?

Gaston, revenu en France, voulait la revoir. Elle comprenait ce désir ; mais elle connaissait assez cet homme, jadis tant aimé, pour savoir qu’elle n’avait rien à redouter de lui.

Il viendrait, il la trouverait mariée à un autre, vieillie, mère de famille, ils échangeraient un souvenir, un regret peut-être, elle lui rendrait le dépôt qu’il lui avait confié, et ce serait tout.

Mais elle était assaillie de doutes affreux.

Révélerait-elle à Gaston qu’elle avait eu un fils de lui ?

Avouer ? c’était se livrer. C’était mettre à la merci d’un homme — le plus loyal et le plus honnête certainement, mais enfin d’un homme — non-seulement son honneur et son bonheur à elle, mais l’honneur et le bonheur de son mari et de ses enfants.

Se taire ? c’était commettre un crime. C’était, après avoir abandonné son enfant, après avoir privé des soins et des caresses d’une mère, lui voler le nom et la fortune de son père.

Elle se demandait quelle décision prendre, quand on vint la prévenir que le dîner était servi.

Mais elle ne se sentait pas le courage de descendre. Affronter les regards de ses fils était au-dessus de ses forces. Elle se dit très-souffrante et gagna sa chambre, heureuse, pour la première fois, de l’absence de son mari.

Bientôt Madeleine, inquiète, accourut, mais elle la renvoya, disant que ce n’était rien qu’un mal de tête, et qu’elle voulait essayer de dormir.

Elle voulait rester seule en face du malheur, et son esprit s’efforçait de pénétrer l’avenir, de deviner ce qui arriverait le lendemain.