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sence de son mari, appelé en province par des intérêts graves, un jour du mois de novembre, dans l’après-midi, un de ses domestiques lui apporta une lettre remise chez le concierge par un inconnu qui avait refusé de dire son nom.

Sans que le plus vague pressentiment fît trembler ou hésiter sa main, elle brisa l’enveloppe et lut :

« Madame,

« Est-ce trop compter sur la mémoire de votre cœur que d’espérer une demi-heure d’entretien ?

« Demain, entre deux et trois heures, j’aurai l’honneur de me présenter à votre hôtel.

« Marquis de Clameran. »

Par bonheur, Mme Fauvel était seule.

Une angoisse aussi affreuse que celle qui précède la mort étreignit le cœur de la pauvre femme à l’instant où, d’un coup d’œil, elle parcourut le billet.

Dix fois elle le relut à demi-voix, comme pour se bien pénétrer de l’épouvantable réalité, pour se prouver qu’elle n’était pas victime d’une hallucination.

À dix reprises, avec une terreur approchant de la folie, elle prononça ce nom si doux à ses lèvres autrefois : Clameran ; l’épelant comme si elle ne l’eût pas connu. Et les huit lettres qui forment ce nom éclataient devant ses yeux avec les lueurs sinistres de l’éclair précédant la foudre.

Ah ! elle avait cru, elle avait espéré qu’il était oublié, ce fatal passé, qu’il était mort, à jamais anéanti. Folie ! voici que tout à coup, il se dressait devant elle, vivant, menaçant, impitoyable.

Pauvre femme ! Comme si toutes les volontés humaines et divines réunies pouvaient empêcher ce qui fut d’avoir été !

Et c’est à l’heure de la sécurité, quand elle croyait au pardon de la destinée, en plein bonheur, qu’éclatait la catastrophe, brisant en mille pièces le fragile édifice de ses espérances.

Ce n’est qu’après bien du temps qu’elle put recueillir