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Mais il comprit que devant son garçon de bureau il ne pouvait se laisser aller aux emportements de son caractère, il réussit à se dominer et c’est d’une voix relativement calme, qu’il ajouta :

— Faites entrer ces messieurs.

Si M. Verduret, ce gros homme à l’air jovial, avait compté sur un curieux et émouvant spectacle, son attente ne fut pas trompée.

Rien de terrible comme l’attitude de ces deux hommes mis en présence : le banquier rouge, le visage tuméfié comme s’il allait être frappé d’une attaque d’apoplexie ; Prosper plus livide que le blessé qui vient de perdre sa dernière goutte de sang.

Immobiles, frémissants, séparés par trois pas, à peine, ils échangeaient des regards chargés d’une haine mortelle, prêts à se précipiter l’un sur l’autre.

Pendant une bonne minute, au moins, M. Verduret examina curieusement ces deux ennemis, avec le détachement et le sang-froid d’un philosophe qui, dans les transports les plus violents de la passion humaine, ne voit plus qu’un sujet d’études et de méditations.

À la fin, le silence devenant de plus en plus menaçant, il se décida à prendre la parole, s’adressant au banquier :

— Vous savez sans doute, monsieur, dit-il, que mon jeune parent vient d’être relâché ?

— Oui, répondit M. Fauvel qui faisait, pour ne pas éclater, les plus louables efforts ; oui, faute de preuves suffisantes.

— Précisément, monsieur ; or ce considérant : « faute de preuves, » relaté dans l’arrêt de non-lieu, perd si bien l’avenir de mon parent, qu’il est décidé à partir pour l’Amérique.

À cette déclaration, la physionomie de M. Fauvel changea brusquement. Ses traits se détendirent comme s’il eût été soulagé de quelque affreuse angoisse.

— Ah ! il part, répéta-t-il à plusieurs reprises, il part !…