Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/165

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Et pour s’aider à digérer cette humiliation, maître Joseph avala une gorgée d’absinthe.

— C’est là tout ? demanda M. Verduret.

— Pour hier, oui patron. Ce matin, le bourgeois s’est levé tard, et toujours d’une humeur de dogue. À midi, l’autre, le Raoul, est arrivé, furibond, lui aussi. Aussitôt ils ont commencé à se disputer, mais à se disputer… tenez, des crocheteurs auraient rougi de les voir. À un moment, mon grand escogriffe de bourgeois avait empoigné le petit à la gorge, et il le secouait comme un prunier ; j’ai bien cru qu’il allait l’étrangler. Mais le Raoul, pas bête, vous a tiré de sa poche un joli couteau pointu, et ma foi l’autre a eu peur, il a lâché prise et s’est calmé.

— Mais, que disaient-ils ?

— Ah ! voilà le hic, patron, fit piteusement maître Joseph ; ils parlaient anglais, les canailles, de telle sorte que je n’ai rien compris. Ce dont je suis sûr, par exemple, c’est qu’ils se disputaient à propos d’argent.

— Comment le sais-tu ?

— Par la raison qu’en vue de l’Exposition universelle, j’ai appris comment on dit : Argent, dans toutes les langues de l’Europe, et que ce mot revenait à chaque instant dans leur conversation.

M. Verduret, les sourcils froncés, marmottait un monologue inintelligible, et Prosper, qui l’observait, se demandait si par hasard il avait la prétention de reconstruire, par la seule force de la réflexion, la dispute dont le sens précis avait échappé au domestique.

— Pour finir, reprit maître Joseph, quand mes coquins ont été calmés, ils se sont remis à parler français. Mais, bast ! ils n’ont plus causé que de choses insignifiantes, d’un bal travesti qui a lieu demain chez des banquiers. Seulement, en reconduisant le petit, mon bourgeois lui a dit : — « Puisque cette scène est inévitable, autant qu’elle ait lieu aujourd’hui même, ainsi reste chez toi, au Vésinet, ce soir. » Raoul a répondu : — C’est entendu.