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Il fallait se dégager ou mourir.

Le malheureux ! Il avait gardé à la main son couteau sanglant, il frappa ; un homme encore tomba en poussant un gémissement terrible.

Ce second coup lui donna un moment de répit, fugitif comme l’éclair, mais qui lui permit de tourner la barrière et de s’élancer sur la levée.

Deux des poursuivants s’étaient agenouillés près du blessé, cinq reprirent la chasse avec une ardeur plus endiablée.

Mais Gaston était leste, mais l’horreur de la situation triplait son énergie ; échauffé par la lutte, il ne sentait aucune de ses blessures, il allait, les coudes au corps, ménageant son haleine, rapide comme un cheval de course.

Bientôt il distança ceux qui le poursuivaient : le souffle de leur respiration haletante s’éloignait, le bruit de leurs pas arrivait moins distinct ; enfin, on n’entendit plus rien.

Cependant Gaston courut pendant plus d’un quart de lieue encore, il avait pris les champs, franchissant les haies, sautant les fossés, et c’est lorsqu’il fut bien convaincu que le rejoindre était impossible, qu’il se laissa tomber au pied d’un arbre.

Toute cette scène terrible s’était passée avec une rapidité inconcevable. Entre le moment où Gaston était entré au petit café avec son ami et l’instant actuel, il ne s’était pas écoulé plus de quarante minutes.

Mais que d’événements en ce peu de temps ! Cette soirée seule allait peser dans sa vie plus que les vingt-cinq années de son existence.

Entré dans cet établissement maudit, la tête haute, le cœur joyeux, heureux de vivre, assuré de l’avenir, il en ressortait perdu… car il avait tué.

Il avait tué, et il tenait encore d’une main convulsive l’instrument du meurtre ; il le jeta au loin avec horreur.

Et il s’efforçait de se rendre compte des circonstances, comme s’il importait à qui gît brisé au fond de l’abîme de savoir quelle pierre roulant sous son pied l’a précipité.

Si encore il eût été perdu seul !… Mais non ; Valentine