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Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/241

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— Quoi ! vous pouvez songer à rester, après l’horrible scène de ce soir, après un scandale qui demain sera public.

— Que voulez-vous dire ? Que je suis perdue, déshonorée ? Le suis-je plus aujourd’hui que je ne l’étais hier ? Pensez-vous donc que l’ironie ou les mépris du monde me feront autant souffrir que les révoltes de ma conscience ! Je me suis toujours jugée, Gaston, et si votre présence, le son de votre voix, la sensation de votre main touchant la mienne, me faisaient tout oublier, loin de vous je me souvenais et je pleurais.

Gaston écoutait, immobile, stupéfait, il lui semblait qu’une Valentine nouvelle se dressait devant lui, et qu’il découvrait en son âme, qu’il croyait si bien posséder des profondeurs qui lui avaient échappé.

— Et votre mère ? murmura-t-il.

— C’est elle, ne le comprenez-vous pas, dont le souvenir m’enchaîne ici. Voulez-vous donc que, fille dénaturée, je l’abandonne pour suivre mon amant, à l’heure où, pauvre, isolée, sans amis, elle n’a plus que moi.

— Mais on la préviendra, Valentine, nous avons des ennemis, elle saura tout.

— Qu’importe ! La conscience parle, il suffit. Ah ! que ne puis-je, au prix de ma vie, lui épargner d’apprendre que sa fille, sa Valentine, a failli à toutes les lois de l’honneur ! Il se peut qu’elle soit dure pour moi, terrible, impitoyable. Eh bien ! ne l’ai-je pas mérité. Ô mon unique ami, nous nous étions endormis dans un rêve trop beau pour qu’il pût durer. Ce réveil affreux, je l’attendais. Misérables fous, pauvres imprudents, qui avons pu croire qu’il est hors du devoir des félicités durables ! Tôt ou tard, le bonheur volé se paie. Courbons le front et humilions-nous.

Cette froide raison, cette résignation douloureuse rallumèrent la colère de Gaston.

— Ne parlez pas ainsi ! s’écria-t-il. Ne sentez-vous pas que la seule idée d’une humiliation pour vous me rend fou ?