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Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/249

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— Mort !… balbutia-t-elle.

— Oui, répondit Saint-Jean avec des regards terribles ; oui, mort.

Véritable serviteur de l’ancien régime, Saint-jean avait toutes les passions de ses maîtres, leurs faiblesses, leurs amitiés, leurs haines. Il avait les La Verberie en horreur. Et pour comble, il voyait en Valentine la femme qui avait causé la mort du marquis qu’il servait depuis quarante ans, et de Gaston qu’il adorait.

— Donc, reprit-il, s’efforçant de faire de chaque mot un coup de poignard, c’est hier soir que monsieur le comte a péri. Quand on est venu annoncer au marquis que son fils aîné n’était plus, lui, robuste, comme un chêne, il a été foudroyé. J’étais là. Il a battu l’air de ses mains et est tombé à la renverse sans un cri. Nous l’avons porté sur son lit, pendant que M. Louis montait à cheval pour aller quérir un médecin à Tarascon. Mais le coup était porté. Quand M. Raget est arrivé, il n’y avait plus rien à faire. Cependant, au petit jour, monsieur le marquis a repris connaissance, et il a demandé à rester seul avec M. Louis. Peu après, il est entré en agonie ; ses derniers mots ont été : « Le père et le fils le même jour, on peut se réjouir à La Verberie. »

D’un mot, Valentine pouvait calmer la douleur immense du fidèle domestique ; elle n’avait qu’à lui dire que Gaston vivait, elle eut le tort de redouter une indiscrétion qui pouvait être fatale.

— Eh bien ! reprit-elle, il faut que je parle à monsieur Louis.

Cette déclaration parut transporter Saint-Jean.

— Vous ! s’écria-t-il, vous !… Ah ! vous : n’y songez pas, mademoiselle de La Verberie. Quoi ! après ce qui s’est passé, vous oseriez vous présenter devant lui ! Je ne le souffrirai pas, m’entendez-vous. Et même, tenez, si j’ai un conseil à vous donner, rentrez chez vous. Je ne répondrais pas de la langue des domestiques, s’ils vous voyaient.

Et sans attendre une réponse, il s’éloigna à grands pas.