Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/278

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Entre la vie et l’honneur, mon frère a choisi… il est mort.

Comme le chêne frappé de la foudre, le marquis, à ces mots, avait chancelé et était tombé. Le médecin qu’on était allé chercher ne put, hélas ! qu’avouer l’impuissance de la science. Vers le matin. Louis recueillit d’un œil sec le dernier soupir de son père.

Louis était le maître désormais.

C’est que les injustes précautions prises par le marquis, pour éluder la loi et assurer, sans conteste, toute sa fortune à son fils aîné, tournèrent contre lui.

Grâce à la coupable complaisance de ses hommes d’affaires, au moyen de fidéi-commis entachés de fraude, M. de Clameran avait tout disposé de façon qu’au lendemain de sa mort Gaston pût recueillir tout son héritage ; ce fut Louis qui le recueillit et sans même qu’il fût besoin de l’acte de décès de son frère.

Il était marquis de Clameran, il était libre, il était riche aussi, relativement. Lui, qui jamais ne s’était vu vingt-cinq écus en poche, il se trouvait possesseur de bien près de deux cent mille francs.

Cette richesse subite, absolument inespérée, lui tourna si bien la tête, qu’il oublia sa savante dissimulation. On remarqua sa contenance, aux funérailles du marquis. La tête baissée, son mouchoir sur la bouche, il suivait le cercueil porté par douze paysans, mais ses regards démentaient son attitude, son front rayonnait, on devinait le sourire sous les grimaces de sa feinte douleur.

La vibration des dernières pelletées de terre sur le cercueil n’étaient pas éteintes, que déjà Louis vendait, au château, tout ce qui se pouvait vendre : les chevaux, les harnais, les voitures.

Dès le lendemain, il renvoya tous les domestiques, pauvres gens qui s’étaient imaginés finir leurs jours sous le toit hospitalier de Clameran. Plusieurs, les larmes aux yeux, le prirent à part pour le conjurer d’utiliser leurs services, même sans rétribution ; il les congédia brutalement.