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comparable. C’est à peine si elle s’arrêtait à l’idée de ses deux fils. Ils avaient toujours été heureux et aimés, eux, ils avaient un père, ils étaient riches, tandis que l’autre, l’autre !… Quelles compensations ne lui devait-elle pas !

Encore un peu, et, dans son aveuglement, elle eût rendu les siens responsables des misères de Raoul.

Et nul remords, pas un tressaillement de conscience, nulle appréhension des événements. Sa folie était complète. L’avenir, pour elle, c’était le lendemain ; l’éternité, les seize heures qui la séparaient d’une nouvelle entrevue. La mort de Gaston lui paraissait être l’absolution du passé aussi bien que du présent.

Mais elle regrettait d’être mariée. Libre, elle eût pu se consacrer toute entière à Raoul. Elle était riche, mais c’est avec bonheur qu’elle eût donné son luxe pour la pauvreté avec lui.

Ni son mari, ni ses fils ne soupçonneraient jamais les pensées qui l’agitaient, elle était tranquille de ce côté, mais elle redoutait sa nièce.

Il lui semblait que lorsqu’elle était rentrée, Madeleine avait arrêté sur elle des regards singuliers. Se doutait-elle donc de quelque chose ? Elle l’avait depuis plusieurs jours poursuivie de questions étranges. Il fallait se défier d’elle.

Cette inquiétude changea en une sorte de haine l’affection qu’avait Mme  Fauvel pour sa fille d’adoption.

Elle si bonne, si aimante, elle eut regret de l’avoir recueillie et de s’être ainsi donnée un de ces vigilants espions à qui rien n’échappe. Comment se dérober, se demandait-elle, à cette sollicitude inquiète du dévoûment, à cette pénétration d’une jeune fille qui s’était habituée à suivre sur son visage la trace de ses plus fugitives émotions ?

C’est avec une indicible joie qu’elle découvrit un moyen à sa portée.

Depuis deux ans bientôt, il était question d’un mariage entre Madeleine et le caissier de la maison, Prosper Bertomy, le protégé du banquier. Mme  Fauvel se dit