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— Non ! s’écria Mme  Fauvel, non, il ne sera pas dit que je t’aurai laissée, toi innocente, prendre l’accablant fardeau de mes fautes.

La noble et courageuse fille hocha tristement la tête.

— Il ne sera pas dit, reprit-elle, que j’aurai laissé le déshonneur entrer dans cette maison qui est la mienne, quand je puis m’y opposer. Ne vous dois-je donc pas plus que la vie ? Que serais-je sans vous ? Une pauvre ouvrière des fabriques de mon pays. Qui m’a recueillie ? Toi. N’est-ce pas à mon oncle que je dois cette fortune qui tente le misérable ? Abel et Lucien ne sont-ils pas mes frères ? Et quand notre bonheur à tous est menacé, j’hésiterais !… Non. Je serai marquise de Clameran.

Alors, entre Mme  Fauvel et sa nièce, commença une lutte de générosité d’autant plus sublime, que chacune offrait sa vie à l’autre, et la donnait, non dans un moment d’entraînement, mais de son plein gré et après délibération.

Mais Madeleine devait triompher, enflammée qu’elle était de ce saint enthousiasme du sacrifice qui fait les martyrs.

— Je n’ai à répondre de moi qu’à moi-même, répétait-elle, comprenant bien que là était la place où elle devait frapper, tandis que toi, chère tante, tu dois compte de toi à ton mari et à tes enfants. Songe à la douleur de mon oncle, s’il apprenait jamais la vérité ! Il en mourrait.

La généreuse jeune fille disait vrai.

Tel avait été le fatal enchaînement des circonstances, que toujours Mme  Fauvel avait été arrêtée par l’apparence d’un grand devoir à remplir.

Ainsi, après avoir sacrifié son mari à sa mère, elle sacrifiait maintenant son mari et ses enfants à Raoul.

C’est que, nécessairement, une première faute attire d’autres fautes. De même qu’un impalpable flocon de neige devient une avalanche, une imprudence peut être le point de départ d’un crime.

Aux situations fausses, il n’est qu’une issue : la vérité.