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Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/415

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— Oui, répondit Raoul, oui, je n’ai pas ta volonté féroce, et j’ai peur.

— Comment, toi, mon élève, mon ami ! Ce n’est pas possible. Allons, morbleu ! de l’énergie, un dernier coup d’aviron et nous sommes au port. C’est purement nerveux ce que tu ressens ; allons dîner, un verre de bourgogne te remettra.

Ils étaient alors sur le boulevard ; ils entrèrent dans un restaurant en renom où ils venaient souvent, et s’installèrent dans un cabinet particulier.

Mais c’est en vain que Louis se mit en frais de gaîté, il ne put dérider son compagnon.

Raoul restait sombre et pâle pendant que l’autre s’égayait sur ses répugnances, lorsqu’il ne s’agissait, en définitive, que d’une « pilule amère » à avaler.

Dompté par le sentiment de la nécessité où il se trouvait d’obéir quand même, Raoul essaya de se griser et il but, coup sur coup, deux bouteilles. Mais l’ivresse appelée trompa son espoir, le vin le trahit ; il ne trouvait au fond du verre que colère et dégoût.

Huit heures sonnèrent à la pendule du cabinet.

— Il est temps, prononça Louis.

Raoul devint livide, ses dents claquèrent. Il voulut se dresser, il ne le put ; ses jambes, plus flasques que du coton, refusaient de le porter.

— Ah ! je ne peux pas ! fit-il avec un accent de douleur et de rage.

Un éclair, brilla dans les yeux de Clameran. Toutes ses combinaisons allaient-elles donc manquer misérablement ! Mais il domina sa colère, comprenant que le moindre éclat pouvait tout perdre. Il tira violemment le cordon de la sonnette. Un garçon parut.

— Une bouteille, de porto, demanda-t-il, et une bouteille de rhum.

Le garçon ayant servi, Louis emplit un grand verre des deux liqueurs mélangées et le présenta à Raoul.

— Bois ! dit-il.

D’un trait, Raoul vida le verre, et une fugitive rou-