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Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/56

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L’homme de la préfecture de police sortit lentement de sa poche la lettre enlevée à Cavaillon, et la présentant à Mme Gypsy :

— Lisez, dit-il.

Certes, elle ne pressentait rien de funeste. Bien qu’elle eût les meilleurs yeux du monde, elle ajusta sur son nez un charmant binocle avant de déplier le billet.

D’un coup d’œil elle le lut en entier.

Elle devint toute pâle d’abord, puis fort rouge ; un frisson nerveux la secoua de la tête aux pieds ; ses jambes fléchirent ; elle chancela. Fanferlot croyant qu’elle allait tomber, tendit les bras pour la retenir.

Précaution inutile ! Mme Gypsy était de ces femmes dont la paresseuse insouciance masque une énergie endiablée, créatures fragiles dont la force de résistance n’a pas de limites ; chattes par les grâces et les délicatesses, chattes surtout par leurs nerfs et leurs muscles d’acier.

Le vertige du coup de massue qu’elle venait de recevoir dura ce que dure l’éclair. Elle chancela, mais elle ne tomba pas. Elle se redressa plus forte, saisit les poignets de l’agent de la préfecture et, de sa main mignonne, les serrant à le faire crier :

— Expliquez-vous, dit-elle ; qu’est-ce que cela signifie ? Vous savez ce que m’annonce cette lettre ?

Si brave qu’il soit, lui qui chaque jour affronte les plus dangereux coquins, Fanferlot eut presque peur de la colère de Mme Nina.

— Hélas ! murmura-t-il.

— On veut arrêter Prosper, on l’accuse d’avoir volé !…

— Oui, on prétend qu’il a pris à sa caisse 350,000 fr.

— C’est faux ! s’écria la jeune femme, c’est une infamie et une absurdité.

Elle avait lâché les poignets de Fanferlot, et sa fureur, véritable rage d’enfant gâté, s’exhalait en gestes désordonnés. Elle se souciait bien vraiment de son beau peignoir et de ses magnifiques dentelles, qu’elle lacérait impitoyablement.