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Cette fois, Prosper n’eut pas à attendre sur l’humble banc de bois ; le juge, au contraire, l’attendait.

C’était M. Patrigent, en effet, qui, en profond observateur des mouvements de l’âme humaine, avait ménagé cette entrevue de M. Bertomy et de son fils.

Il était sûr qu’entre le père, cet homme à probité raide, et le fils accusé de vol, une scène déchirante, lamentable, aurait lieu, et il comptait que cette scène briserait Prosper.

Il s’était dit qu’il manderait aussitôt près de lui le prévenu, qu’il lui arriverait les nerfs vibrants d’émotions terribles, et qu’il arracherait la vérité à son trouble et à son désespoir.

Il ne fut donc pas médiocrement surpris de l’attidude du caissier, attitude résolue sans roideur, fière et assurée, sans impertinence ni défi.

— Eh bien ! lui demanda-t-il tout d’abord, avez-vous réfléchi ?

— N’étant pas coupable, monsieur, je n’avais pas à réfléchir.

— Ah ! fit le juge, la prison n’a pas été pour vous bonne conseillère. Vous avez oublié qu’il faut surtout sincérité et repentir à qui veut mériter l’indulgence des juges.

— Je n’ai besoin, monsieur, ni d’indulgence ni de grâce.

M. Patrigent ne put retenir un geste de dépit. Il se tut un moment, puis, tout à coup :

— Que me répondriez-vous, fit-il, si je vous disais ce que sont devenus les 350,000 francs ?

Prosper secoua tristement la tête.

— Si on le savait, répondit-il simplement, je serais en liberté et non pas ici.

Le vulgaire moyen employé par le juge d’instruction réussit fort souvent. Mais ici avec un prévenu si maître de soi, il n’avait guère de chances de succès. Cependant il l’avait tenté à tout hasard.