Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/110

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est allé lui parler au judas pour l’engager à se taire…

Le jeune policier eut un si terrible geste que le chef du poste s’arrêta court.

— Qu’y a-t-il donc ? balbutia-t-il. Vous vous fâchez… pourquoi ?

— Parce que, répondit Lecoq furieux, parce que…

Et ne voulant pas avouer la cause vraie de sa colère, il entra au poste en disant qu’il allait voir le prisonnier.

Resté seul, le chef de poste se mit à jurer à son tour.

— Ces « cocos » de la sûreté sont toujours les mêmes, grondait-il, tous. Ils vous questionnent, on leur dit tout ce qu’ils veulent savoir, et après, si on leur demande quelque chose, ils vous répondent : « rien » ou « parce que » !… Farceurs !… Ils ont trop de chance, et ça les rend fiers. Pas de garde, pas d’uniforme, la liberté… Mais où donc est passé celui-ci ?

L’œil collé au judas qui sert aux hommes de garde à surveiller les prisonniers du violon, Lecoq examinait avidement le meurtrier.

C’était à se demander si c’était bien là le même homme qu’il avait vu quelques heures plus tôt à la Poivrière, debout sur le seuil de la porte de communication, tenant la ronde en respect, enflammé par toutes les furies de la haine, le front haut, l’œil étincelant, la lèvre frémissante…

Maintenant, toute sa personne trahissait le plus effroyable affaissement, l’abandon de soi, l’anéantissement de la pensée, l’hébétude, le désespoir…