Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il n’avait pas tort.

Né aux environs de Strasbourg, M. Segmuller utilisait dans l’exercice de ses délicates fonctions cette physionomie candide départie à presque tous les enfants de la blonde Alsace, masque trompeur qui fréquemment dissimule une finesse gasconne doublée de la redoutable prudence cauchoise.

L’esprit de M. Segmuller était des plus pénétrants et des plus alertes, mais son système — chaque juge a le sien — était la bonhomie. Pendant que certains de ses confrères demeuraient roides et tranchants autant que le glaive qu’on place dans la main de la statue de la Justice, il affectait la simplicité et la rondeur, sans que pourtant, jamais l’austérité de son caractère de magistrat en fût altérée.

Mais sa voix avait de si paternelles intonations, il voilait si bien de naïveté la subtilité des questions et la portée des réponses, que celui qu’il interrogeait oubliait de se tenir sur ses gardes et se laissait aller. Et quand au-dedans de lui-même il s’applaudissait du peu de malice du juge, le prévenu était déjà retourné comme un gant.

Près d’un tel homme, un greffier maigre et grave eût entretenu la défiance ; aussi s’en était-il trié un, qui était comme sa caricature. Il s’appelait Goguet. Il était court, obèse, imberbe et souriant. Sa large face exprimait, non plus la bonhomie mais la niaiserie, et il était niais raisonnablement.

Ainsi qu’il l’avait dit, M. Segmuller étudiait la cause qui lui arrivait là inopinément.

Sur son bureau étaient étalées toutes les pièces de con-