Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/328

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tendre un des amis qu’il avait livrés, lui jeter cette injure qu’il ne méritait pas : traître.

Ce n’est cependant qu’à la dernière extrémité, très-rarement, en des cas spéciaux, qu’on se décide à prêter secrètement la main à l’évasion d’un détenu. En somme, le moyen est dangereux.

Si on y a recours, c’est qu’on espère en retirer quelque avantage important, comme de mettre la main sur une association de malfaiteurs.

On capture un homme de la bande, il a la probité de son infamie, et refuse de nommer ses complices. Que faire ?… Faut-il se résigner à le juger, à le condamner seul ?…

Eh !… non ! Mieux vaut laisser traîner à sa portée, par le plus grand des hasards, une lime qui lui permettra de scier ses barreaux, une corde qui lui facilitera l’escalade d’un mur…

Il s’échappe, mais pareil au hanneton qui s’envole avec un fil à la patte, il traîne un bout de chaîne, une escouade d’observateurs subtils.

Et au moment où il vante à ses associés qu’il a rejoints, son audace et son bonheur, la compagnie se trouve prise d’un coup de filet.

M. Segmuller savait tout cela, et bien d’autres choses encore, et cependant, à la proposition de Lecoq, il se dressa sur son séant en disant :

— Êtes-vous fou !…

— Je ne le crois pas, monsieur.

— Faire évader le prévenu !

— Oui, répondit froidement le jeune policier, tel est bien mon projet.