Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/396

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Pour se débarrasser de lui, Lecoq, Mai n’avait eu qu’à lui jeter un faux complice, ramassé au hasard dans un cabaret, comme un chasseur qui serré de trop près par un ours lui jette son gant… Et ni plus ni moins que la bête, il s’était laissé prendre au stratagème grossier !…

Cependant le père Absinthe s’inquiétait de la morne tristesse de son collègue.

— Où allons-nous, demanda-t-il, au Palais ou à la Préfecture ?

Lecoq tressauta à cette question, qui le ramenait brutalement à la désolante réalité de la situation.

— À la Préfecture !… répondit-il ; pourquoi faire ?… pour m’exposer aux insultes de Gévrol ? C’est un courage que je ne me sens pas. Je ne me sens pas la force, non plus, d’aller dire à M. Segmuller : « Pardon, vous m’aviez trop favorablement jugé ; je ne suis qu’un sot !… »

— Qu’allons-nous donc faire ?…

— Ah !… je ne sais… peut-être m’embarquer pour l’Amérique, peut-être me jeter à l’eau !…

Il fit une centaine de pas, puis s’arrêtant tout à coup :

— Non !… s’écria-t-il, en frappant rageusement du pied, non cette affaire n’en restera pas là. J’ai juré que j’aurais le mot de l’énigme, je l’aurai. Comment, par quels moyens ?… je l’ignore. Mais il me le faut, il m’est dû, je le veux… je l’aurai !…

Pendant une minute il réfléchit, puis d’une voix plus calme :

— Il est, reprit-il, un homme qui peut nous sauver, un homme qui saura voir ce que je n’ai pas vu, qui comprendra ce que je n’ai pas compris… Allons lui demander conseil ! sa réponse dictera ma conduite… Venez !…