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bileté que n’avaient pas les anciens propriétaires, rapportait bon an mal an soixante mille livres en sacs.

Beaucoup, à la place de M. Lacheneur, eussent été éblouis. Il sut, lui, garder son sang-froid.

En dépit du luxe princier qui l’entourait, sa vie resta simple et frugale. Il n’eut jamais de domestique pour son service personnel. Ses revenus, très-considérables à cette époque, il les consacrait presque entièrement à améliorer ses terres ou à en acquérir de nouvelles. Et cependant il n’était pas avare. Dès qu’il s’agissait de sa femme ou de ses enfants, il ne comptait plus. Son fils, Jean, était élevé à Paris, il voulait qu’il pût prétendre à tout. Ne pouvant se résoudre à se séparer de sa fille, il lui avait donné une institutrice.

Parfois, ses amis l’accusaient d’une ambition démesurée pour ses enfants, mais alors il hochait tristement la tête et répondait :

— Que ne puis-je seulement leur assurer une modeste existence !… Compter sur l’avenir, quelle folie !… Qui eût prévu, il y a trente ans, que la famille de Sairmeuse serait dépossédée…

Avec de telles idées, il devait être un bon maître ; il le fut, mais on ne lui en tint nul compte. Ses anciens camarades ne pouvaient lui pardonner sa prestigieuse élévation. Il était rare qu’on parlât de lui sans souhaiter sa ruine à mots couverts.

Hélas !… les mauvais jours arrivèrent.

Vers la fin de 1812, il perdit sa femme, et les désastres de 1813 lui enlevèrent toute sa fortune mobilière confiée à un industriel de ses amis. Fortement compromis lors de la première Restauration, il fut obligé de se cacher, et, pour comble, la conduite de son fils, à Paris, lui donnait de sérieuses inquiétudes…

La veille encore, il s’estimait le plus malheureux des hommes…

Mais voici qu’un nouveau malheur le menaçait, si épouvantable que tous les autres étaient oubliés…

Entre le jour où il avait acheté Sairmeuse, et ce