Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/298

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par l’effort d’une marche si pénible, déclara qu’il ne souperait pas.

Il se jeta sur un grabat, dans la seconde pièce de l’auberge, et s’endormit…

C’était, depuis qu’ils avaient rencontré Lacheneur, la première fois que les deux métayers se trouvaient seuls et pouvaient échanger leurs impressions.

La même idée leur était venue.

Ils avaient pensé qu’en livrant Lacheneur ils obtiendraient leur grâce.

Certes, ils n’eussent, pour rien au monde, consenti à accepter un sou de l’argent promis au traître, mais échanger leur liberté et leur vie contre la vie et la liberté de Lacheneur ne leur semblait pas une trahison…

— D’ailleurs, il nous a trompés, se disaient-ils.

Ils décidèrent donc que dès qu’ils auraient soupé ils iraient à Saint-Jean-de-Coche, prévenir les gendarmes piémontais.

Mais ils devaient être devancés.

Ils avaient parlé assez haut, et un homme les avait entendus, qui avait appris dans la journée quelle prime splendide était promise à la délation.

Cet homme était l’aubergiste Balstain.

En apprenant le nom de l’hôte qui dormait sans défiance sous son toit, le vertige de l’or le saisit. Il ne dit qu’un mot à sa femme et s’échappa par une fenêtre pour courir aux gendarmes.

Depuis une demi-heure il était parti, quand les métayers sortirent.

Pour monter leur courage jusqu’à l’abominable action qu’ils allaient commettre, les malheureux avaient beaucoup bu en soupant.

Ils fermèrent si violemment la porte, que Lacheneur, réveillé par la secousse, se leva.

La femme de l’aubergiste était seule dans la première pièce.

— Où sont mes amis ?… demanda-t-il vivement, où est votre mari?…