Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/363

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Ce seul fait que le baron avait pu supporter le transport, trahissait dans ce pauvre corps brisé une intensité de vie qu’on n’y eût pas soupçonnée.

L’important, à cette heure, était de se procurer les instruments de chirurgie et les médicaments qu’exigeait l’état du blessé.

Mais où, mais comment se les procurer ?

La police du marquis de Courtomieu épiait les médecins et les pharmaciens de Montaignac, espérant arriver par eux, et à leur insu, jusqu’aux blessés du soulèvement.

Le passé de l’abbé Midon sauva le présent.

Lui qui s’était fait la Providence des malheureux de sa paroisse, lui qui, pendant dix ans, avait été le médecin et le chirurgien des pauvres, il avait à sa cure une trousse presque complète, et cette grande boîte de médicaments qu’il portait sur le dos dans ses tournées.

— Ce soir, dit-il à Mme d’Escorval, j’irai chercher tout cela.

L’obscurité venue, en effet, il passa une longue blouse bleue, rabattit sur son visage un large chapeau de feutre, et se dirigea vers le village de Sairmeuse.

Pas une lumière ne brillait aux fenêtres du presbytère. Bibiane, la vieille gouvernante, devait être à bavarder chez les voisins.

L’abbé pénétra dans cette maison, qui avait été la sienne, en forçant la porte du petit jardin ; il trouva à tâtons ce qu’il voulait, et se retira sans avoir été aperçu…

Et cette nuit-là même, si quelque espion eût rôdé autour de la ferme du père Poignot, il eût entendu deux ou trois cris effrayants, sinistres comme ceux de la bête qu’on égorge.

L’abbé hasardait une cruelle, mais indispensable opération.

Son cœur tremblait, mais non la main qui tenait le bistouri, quoique jamais il n’eût rien tenté de si difficile.