Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/455

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racle qu’elle ne l’eût pas été déjà, c’était un hasard prodigieux que Marie-Anne n’eût eu besoin de rien dans le cabinet de toilette…

Tout à l’heure, peu lui eût importé en somme. En renversant la tasse elle eût anéanti les preuves du crime, tandis que maintenant !…

L’effroi du châtiment, qui précède le remords, faisait battre son cœur avec une telle violence, qu’elle ne comprenait pas qu’on n’en entendît pas les battements de l’autre côté, dans la chambre.

Son épouvante redoubla quand elle vit Marie-Anne prendre la lumière, se diriger vers la porte et descendre.

Mme Blanche était seule. La pensée d’essayer de s’échapper lui vint… mais par où ? mais comment, sans être vue ?

— Il faut, se disait-elle avec rage, que l’étiquette ait menti !…

Hélas ! non. Elle en fut bien sûre lorsque reparut Marie-Anne.

En moins de cinq minutes qu’elle était restée au rez-de-chaussée, un changement s’était opéré en elle, comme après une maladie de six mois.

Son visage affreusement décomposé était livide et tout marbré de taches violacées, ses yeux comme agrandis brillaient d’un éclat étrange, ses dents claquaient…

Elle laissa tomber plutôt qu’elle ne posa sur la table les assiettes qu’elle montait.

— Le poison !… pensa Mme Blanche, cela commence…

Marie-Anne restait debout devant la cheminée, promenant autour d’elle un regard éperdu, comme si elle eût cherché une cause visible à d’incompréhensibles douleurs. Machinalement, elle passait et repassait la main sur son front qui se couvrait d’une sueur froide et visqueuse ; elle remuait ses mâchoires dans le vide et faisait claquer sa langue comme si la salive lui eût manqué ; sa respiration haletait…

Puis, tout à coup, une nausée lui vint, elle chancela,