Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/523

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Une exclamation d’effroi échappa à tante Médie, et Mme Blanche pâlit.

— À un crime !… murmura-t-elle.

— Oui, Blanche, et je pourrais nommer le coupable. Oh ! mes pressentiments ne me trompent pas. Le meurtrier de mon père est celui qui a tenté d’assassiner le marquis de Courtomieu…

— Jean Lacheneur !…

Martial baissa tristement la tête. C’était répondre.

— Et vous ne le dénoncez pas, s’écria la jeune femme, et vous ne courez pas demander vengeance à la justice !…

La physionomie de Martial devenait de plus en plus sombre.

— À quoi bon !… répondit-il. Je n’ai à donner que des preuves morales, et c’est des preuves matérielles qu’il faut à la justice.

Il eut un geste d’affreux découragement, et, d’une voix sourde, répondant à ses pensées plutôt que s’adressant à sa femme, il poursuivit :

— Le duc de Sairmeuse et le marquis de Courtomieu ont récolté ce qu’ils avaient semé. La terre ne boit jamais le sang répandu, et tôt ou tard le crime s’expie.

Mme Blanche frémissait. Chacune des paroles de son mari trouvait un écho en elle. Il eût parlé pour elle qu’il ne se fût pas exprimé autrement.

— Martial, fit-elle, essayant de le détourner de ses funèbres préoccupations, Martial !

Il ne parut pas l’entendre, et du même ton il continua :

— Ces Lacheneur vivaient heureux et honorés avant notre arrivée à Sairmeuse. Leur conduite a été au-dessus de tout éloge, ils ont poussé la probité jusqu’à l’héroïsme. D’un mot, nous pouvions nous les attacher et en faire nos amis les plus sûrs et les plus dévoués… C’était notre devoir avant notre intérêt. Nous ne l’avons pas compris. Nous les avons humiliés, ruinés, exaspérés, poussés à bout… De telles fautes se payent. Il est de ces