Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/545

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Une singulière idée lui était venue.

— Si Jean Lacheneur est encore de ce monde, s’était-il dit, quelle ne doit pas être sa joie !… Et s’il vit, à coup sûr il est là, au premier rang, animant la foule.

Et il avait voulu voir.

Mais Jean Lacheneur était encore en Russie, à cette époque. L’émotion populaire se calma, l’hôtel de Sairmeuse ne fut même pas sérieusement menacé.

Cependant, Martial avait compris qu’il devait disparaître pour un temps, se faire oublier, voyager…

Il ne proposa pas à la duchesse de le suivre.

— C’est moi qui ai fait les fautes, ma chère amie, lui dit-il, vous les faire payer en vous condamnant à l’exil serait injuste. Restez… je vois un avantage à ce que vous restiez.

Elle ne lui offrit pas de partager sa mauvaise fortune. C’eût été un bonheur, pour elle, mais était-ce possible ! Ne fallait-il pas qu’elle demeurât pour tenir tête aux misérables qui la harcelaient. Déjà, quand par deux fois elle avait été obligée de s’éloigner, tout avait failli se découvrir, et cependant elle avait tante Médie, alors, qui la remplaçait…

Martial partit donc, accompagné du seul Otto, un de ces serviteurs dévoués comme les bons maîtres en rencontrent encore. Par son intelligence, Otto était supérieur à sa position ; il possédait une fortune indépendante, il avait cent raisons, dont une bien jolie, pour tenir au séjour de Paris, mais son maître était malheureux, il n’hésita pas…

Et, pendant quatre ans, le duc de Sairmeuse promena à travers l’Europe son ennui et son désœuvrement, écrasé sous l’accablement d’une vie que nul intérêt n’animait plus, que ne soutenait aucune espérance.

Il habita Londres d’abord, Vienne et Venise ensuite. Puis, un beau jour, un invincible désir de revoir Paris le prit, et il revint.

Ce n’était pas très-prudent, peut-être. Ses ennemis les plus acharnés, des ennemis personnels, mortellement