Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/62

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veux morts sur la tête… Enfin !… ils riaient tous deux, ils se moquaient des paysans… On dit qu’ils vont se marier. Et même, ce soir, on donne un grand dîner au château de Courtomieu en l’honneur du duc…

Il avait conté tout ce qu’il savait, il s’arrêta.

— Tu n’as oublié qu’une chose, fit M. Lacheneur, c’est de nous dire pourquoi tes habits sont déchirés comme si tu t’étais battu ?…

Le robuste gars hésita un moment, puis brusquement :

— Je puis bien vous le dire tout de même, répondit-il. Pendant que Chupin prêchait, je prêchais aussi, et pas pour le même saint… Encore un peu, et je faisais manquer son coup. Le coquin a couru tout rapporter. Aussi, en traversant la place, le duc s’est arrêté devant moi : « Tu es donc une mauvaise tête ? » m’a-t-il dit. J’ai répondu que non, mais que je connaissais mes droits. Alors il m’a pris par ma cravate, et il m’a secoué en me disant qu’il me corrigerait et qu’il me reprendrait ses vignes… Saint bon Dieu !… Quand j’ai senti la main de ce vieux, tout mon sang n’a fait qu’un tour… Je l’ai empoigné à bras le corps !… Heureusement on s’est jeté à six sur moi et j’ai été obligé de lâcher prise… Mais qu’il ne s’avise jamais de venir rôder autour de mes vignes !…

Ses poings se crispaient, toute sa personne menaçait ; le feu des révoltes flambait dans ses yeux.

Et M. d’Escorval se taisait, épouvanté de ces haines si imprudemment allumées, et dont l’explosion, pensait-il, serait terrible…

Mais M. Lacheneur s’était redressé.

— Il faut que je regagne ma masure, dit-il à Chanlouineau, tu vas m’accompagner, j’ai un marché à te proposer…

M. et Mme d’Escorval, stupéfaits, essayèrent de le retenir ; mais il ne se laissa pas fléchir, et il sortit entraînant sa fille.

Pourtant Maurice ne désespérait pas encore.

Marie-Anne lui avait promis qu’elle l’attendrait le len-