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l’histoire se dépouillait de son manteau d’austérité pour s’égayer du charme de la tradition. Le cadre historique s’élargissait sans s’altérer, et cette tradition, ornée par la bouche d’un témoin oculaire de tout l’attrait qu’aurait pu avoir la fiction, évoquait, à côté des principaux personnages, des figures contemporaines qui animaient et remplissaient les vides de la toile.

C’étaient ces évocations familières que je voulais continuer, sans savoir si le hasard qui m’avait si bien servi déjà continuerait à me favoriser encore. J’étais bien résolu toutefois à les solliciter, à les provoquer sans relâche.

Le récit de notre voyage (que je reprends à notre couchée dans la venta de la Sierra-Madre, entre les villes de Tepic et de Guadalajara) fera voir jusqu’à quel point mes provocations furent couronnées de succès[1].

Le capitaine don Ruperto dormait encore d’un profond sommeil, dans l’un des angles de la chambre que nous occupions ensemble, quand je me levai de grand matin. Je convertis sans bruit mon matelas en un manteau, c’est-à-dire que je m’enveloppai de mon zarape[2], qui m’avait servi de lit, et je sortis sans éveiller mon compagnon de route.

Les voyageurs et les maîtres de la venta, au dedans, les muletiers et les domestiques, au dehors, reposaient tous à cette heure matinale. Le silence était partout, silence imposant et solennel, au milieu du solennel et imposant tableau de la Sierra-Madre.

Je traversai le plateau où la venta était bâtie. La lune ne laissait tomber qu’un brouillard lumineux au fond de la gorge profonde formée par deux chaînes de montagnes gigantesques qui courent parallèlement, et sur le sommet de l’une desquelles je me trouvais.

Cette pâle clarté permettait à peine de distinguer

  1. Revue des Deux-Mondes, livraison du 1er janvier 1851.
  2. Couverture de laine.