Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à une table rustique dressée au fond du jardin, sous une tonnelle de passiflores. Tout autour, des dahlias à l’état sauvage (on sait que le Mexique est leur patrie) dressaient leurs tiges grêles et leurs petites fleurs multicolores ; au-dessus de la tonnelle, de magnifiques orangers, pliant sous le poids de leurs fruits, formaient un double et délicieux ombrage. Sur la table, le café fumait dans des tasses de Chine, et un brasero d’argent, où des charbons ardents se couvraient petit à petit d’une cendre blanche, invitait à allumer des cigares de Guayaquil, empilés sur une assiette comme un bûcher odoriférant.

« Oserai-je vous demander, seigneur don Lucas, dis-je au chanoine pour entrer en matière, si c’est une vocation spéciale qui a converti en vous le soldat en homme d’Église ?

— C’est tout le contraire, répondit le chanoine : au moment où je me disposais à entrer dans les ordres, sans penser qu’il y eût en moi l’étoffe d’un soldat, une suite de hasards singuliers m’a toujours jeté malgré moi pendant cinq ans dans le tumulte des batailles. Certes, si l’obstination du sort à m’éloigner constamment du but au moment où j’étais prêt à l’atteindre eût eu à lutter contre une vocation moins déterminée, elle l’eût sans doute éteinte. Mais les circonstances eurent à combattre contre la nature, et la nature finit par l’emporter sur les circonstances, quelque obstinément fortuites qu’aient été ces dernières. »

Je pensai que ce préambule allait ouvrir l’histoire du chanoine, dans laquelle Morelos devait nécessairement figurer ; j’allumai silencieusement un cigare ; le capitaine m’imita, tandis que don Lucas acheva de vider sa tasse.

Je ne m’étais pas trompé : le seigneur Alacuesto commença un récit qu’il n’interrompit que lorsque la nuit fut tout à fait close. Il voulut bien toutefois me promettre de le reprendre le lendemain. Il tint parole et le continua