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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/293

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Rafael ne l’aimait plus, ne pouvait se faire qu’une réponse certaine, c’est qu’elle l’aimait, et qu’elle l’aimerait toujours.

Une après-midi, la seconde qui avait suivi le départ d’Arroyo et de sa bande, le soleil se couchait au loin dans la plaine, comme ce jour où, quelques semaines auparavant, elle attendait à chaque instant l’arrivée de don Rafael. Les eaux s’étaient retirées et la campagne avait pris un aspect plus riant que ce jour-là. Desséchée alors, elle était maintenant couverte d’une éclatante verdure.

Tout à coup, une demi-douzaine de cavaliers apparurent dans la plaine. Ils semblaient venir des collines qui la bordaient, car ils tournaient le dos à l’hacienda ; des banderoles aux couleurs d’Espagne flottaient au bout de leurs lances. Un cavalier seul précédait les cinq autres ; puis bientôt d’autres soldats à cheval se montrèrent après les premiers, mais Gertrudis ne jeta sur eux qu’un regard indifférent.

Toute son attention était absorbée par le cavalier qui marchait seul en tête des autres. Son cœur, plutôt que ses yeux, avait deviné son nom et sa condition.

« Moi aussi, se dit-elle, j’ai été imprudente dans mes paroles, lorsque j’ai prononcé l’anathème contre les fils du pays qui trahiraient sa cause. Qu’importe, à la femme qui aime, la bannière que suit son bien-aimé ? Celle-là doit être la sienne ; que n’ai-je fait comme ma sœur ? Oh ! Marianita est bien heureuse ! »

Et, le cœur gonflé de soupirs, le regard voilé de larmes, elle continuait à suivre de l’œil le cavalier dont la tête ne se détourna pas une seule fois vers l’hacienda, et qui ne tarda pas à se perdre avec son escorte dans la bruine dorée du couchant.

C’était don Rafael, obéissant aux ordres qui l’appelaient, et qui, pour ne pas laisser voir son trouble et sa douleur aux soldats de sa suite, n’avait pas osé jeter ses regards derrière lui.